Je fais 70kg. Et je dois dire que j'ai eu du mal à le dire à voix haute, à l'écrire même. Pourtant je fais le même poids depuis des années, depuis la fin du collège. J'aurais pu m'y habituer mais non, 70kg ça m'a toujours paru "gros". Surtout quand les copines tournent autour de 50kg.
Moi, je n'ai jamais fait 50kg, je ne suis jamais rentrée dans du 34, ni même du 36. Je suis passée de la taille 12 ans au 38. Puis au 40, au 42.

70kg. Parfois 75kg, l'hiver ou pour se tenir chaud quand il n'y a personne. Parfois moins, quand je fais du sport.

70kg, j'essaie de ne pas trop y penser. Ce n'est qu'un chiffre après tout.

J'ai appris à m'aimer, à aimer mon corps. A aimer mes 70kg et mon 40-42. Parce que concrètement, quand je n'y pense pas trop, quand je le compare à personne, mon corps je le trouve plutôt pas mal et puis ne soyons pas ingrate, il fait bien son boulot (j'ai couru 40min d'affilée la semaine dernière et j'en suis pas peu fière) (oui, c'est pas non plus énorme mais on a les fierté qu'on mérite) (ta gueule, d'abord).

Mais surtout j'ai appris à aimer mon corps pour ce qu'il est.
Pas en me disant que de toute façon, les hommes préfèrent les femmes avec des formes. Je ne veux pas m'aimer parce que quelqu'un d'autre peut potentiellement me trouver attirante. Je ne veux pas m'aimer en me disant qu'une femme DOIT avoir des seins et des hanches. Je ne veux plus m'aimer en me consolant, en me disant qu'au moins -moi, contrairement à cette planche à pain de Cara-  je fais du 95c, je ne veux pas m'aimer un voyant un point positif dans ma cellulite. Je ne veux pas m'aimer en niant qu'on est toutes différentes. Je ne veux pas m'aimer en me persuadant que si les autres sont maigres, c'est parce qu'elles sont malades. Je ne veux pas m'aimer en me disant que toutes les femmes qui entrent dans un  size 0 sont des anorexiques, en les critiquant et en les enviant un peu aussi. Je ne veux pas qu'il y ai une énième guerre entre femmes parce que je trouve qu'on mérite mieux que ça.

Le problème, c'est pas les filles qui font du 34 ou les filles qui font du 46.
Le problème, c'est la représentation de la femme dans les médias, dans les publicités.

Le problème, c'est quand Victoria Secret nous dit que la perfection existe et qu'elle n'a qu'un seul et unique modèle: un corps retouché par Photoshop.

Parce que oui, cette photo est retouchée.
Le problème, c'est quand il n'y a qu'une seule version possible de ce corps parfait, rendant toutes les autres anormales, difformes, gênantes, hors-normes et sources de complexes.

Le problème, c'est quand une mannequin est considérée plus size dès qu'elle dépasse un 38. 

Le problème, c'est que la seule image qu'on nous impose, c'est celle de la fille extrêmement mince/maigre et retouchée, qui n'existe quasiment pas.
Le problème, c'est les insultes qu'on se lance à la gueule, "anorexique!", "obèse!", alors qu'on n'est ni l'un ni l'autre.

Et ce qui n'aide pas, c'est quand je cherche des collants à Monoprix: ils sont sensés aller jusqu'à la taille 4, c'est bien écrit au dos de la boite, mais dans les rayons rien ne dépasse la taille 3.
Ce qui n'aide pas, c'est quand mes seins ne rentrent dans aucune robe chez Pimkie, Mim ou NafNaf.
Ce qui n'aide pas, c'est quand on demande à essayer une magnifique tunique et que la coupe ne ressemble plus à rien comme s'ils avaient perdu les patrons entre la taille 36 et la 42 et qu'au final, le résultat est plus proche d'un tote bag que d'un chemisier sexy.
Ce qui n'aide pas, c'est quand on chausse du 42 et qu'on est obligé de faire ses courses via internet.
Est-ce que je suis vraiment la seule à finir déprimée dans une cabine d'essayage, à me moucher dans le rideau ou dans une jupe que je m'achèterais jamais (bah quoi, on se venge comme on peut) alors que j'étais juste d'humeur à faire du shopping?

Je fais 70kg et je n'ai pas envie de me considérer comme grosse, comme ronde, comme bien en chair. Par rapport à quoi je serais tout ça?
Je fais 70kg et je suis très bien. Merci. Espérons qu'un jour, les marques et les annonceurs le comprendront, que plus de tailles seront disponibles avec de vraies coupes adaptées et que les publicités ressembleront à la réalité, ressembleront à ça:

Vous avez surement vu passer cette vidéo (et si ce n'est pas le cas, je vous mets le lien ici) d'une femme filmée en train de marcher dans la rue, à New York. On lui fait des remarques sur son physique, elle se fait interpeller, complimenter, voire même suivre pendant de longues minutes. Honnêtement, sans être forcément surprise, ça m'a quand même fait froid dans le dos. 

Puis, j'ai lu des commentaires postés sur facebook sous la vidéo. Et là, ça m'a juste énervée.

"De quoi elle se plaint? Elle pourrait être contente de se faire remarquer!"

"Franchement pas cool, elle répond même pas, aucune politesse!"

"Dire bonjour, c'est pas du harcèlement."

"Pas besoin de faire la sauvage, elle a la grosse tête, faut qu'elle arrête de se la jouer!"

"Hé pétasse, tu peux pas répondre!"

Voilà les raisons pour lesquelles, non, elle ne répond pas, je ne réponds pas, les filles, en général, ne répondent pas quand un inconnu leur glisse un moelleux "bonjour mademoiselle".

Si tu es un homme: Est-ce que ça t'arrive souvent qu'une personne que tu n'as jamais vu (je ne te parle pas de ton voisin, de la personne que tu croises tous les jours dans la queue de la boulangerie ou à ton arrêt de bus) te souhaite de passer une bonne journée?

Et pour l'ensemble de la population: Combien de tes amis sont des personnes qui tu as rencontrées dans la rue?

C'est bien ce qui me semblait...

Je ne réponds pas aux bonjours qui sont lancés par une personne qui me déshabille du regard et me donne envie de gerber.

Je ne réponds pas à une personne qui va m'adresser la parole une fois qu'elle sera dans mon dos.

Je ne réponds pas à une personne qui va marcher à côté de moi, en me collant de trop près.

Je ne réponds pas à une personne qui n'assume qu'à moitié et me parle en baissant la tête et en marchant vite.

Je ne réponds pas quand la personne qui me parle n'a visiblement rien d'autre à me dire et ne me dit bonjour juste pour signifier qu'elle m'a bien remarquée.

Je ne réponds pas quand un homme me fait un "compliment" en fixant mes seins ou mes jambes.

Je ne réponds pas non plus quand son sourire en coin me met mal à l'aise.

"Bonjour!

-Bonjour.

-Je peux te payer un verre?

-Non merci

-Mais pourquoi, vas-y juste 5 minutes!"

(Et il va te suivre sur 500m en argumentant que c'est lui qui va payer, que t'es charmante, que si ça se trouve vous avez plein de points en commun... Pour finir par t'insulter parce que de toute façon t'es moche et t'as un gros cul.)

"Bonjour!

-Bonjour.

-J'habite juste à côté tu veux venir chez moi?" 

(Bah oui, bien sûr, je savais pas quoi faire, j'entendais que quelqu'un m'invite chez lui. Et sérieusement, est-ce que quelqu'un a déjà répondu "oui" à cette question??)

"Bonjour!

-Bonjour.

-Alors comme ça, ça se promène toute seule?"

(Pourquoi? J'ai besoin d'un accompagnateur?)

"Bonjour!

-Bonjour.

-T'as un mec?"

(Tu veux pas ma date de naissance et mon numéro de sécu, aussi?)

Combien de fois répondre un bonjour donne à la personne en face de toi l'impression que tout est permis. Forcément, une fille a osé dire "bonjour", c'est surement qu'elle a très envie de se faire baiser...

Je ne suis pas une sauvage, je ne m'agrippe pas à mon sac quand je croise un homme, je n'accelère pas le pas (même si j'ai pu le faire à une certaine période). Si on m'adresse la parole dans un but précis, pour me demander l'heure ou une direction, pour me demander si le bus de la ligne 5 est déjà passé, si je connais un bon restaurant dans le quartier, je réponds avec plaisir. Avec le sourire. Il m'est même déjà arrivé de prêter mon portable à un homme qui m'a assuré s'être fait voler le sien.

Et ça me rend dingue de devoir me justifier sur ce point-là. Si quelqu'un n'a juste pas envie d'adresser la parole à un inconnu, c'est son choix. C'est son droit.

"Hé pétasse, tu peux pas répondre!"

"Euh...non!"

Ca fait plus d'un an maintenant que je la porte fièrement, ma jupe.
Sans tirer dessus pour la rallonger en vain quand on me siffle comme si j'étais un chien.
Sans rentrer les épaules et les mains au fond de mes poches quand on me souffle un dégoulinant "bonjour mademoiselle" on me doublant d'un peu trop près.
Sans changer de trottoir quand je passe devant un bar ou un groupe d'hommes.
Sans me dire qu'il faut vraiment que je rentre parce que je ne peux pas me promener "comme ça" seule dans la rue. 

Je la porte, ma jupe, et je t'emmerde. 

Et plus tu t'imagineras qu'elle n'est là que pour tes beaux yeux, plus je garderais la tête haute.

Tous les jours je la porte, parce que je l'aime. Parce que j'en ai envie. Et parce que ça dérange et que, justement, je veux que ça soit imprimé dans ta rétine, ce petit bout de tissu et mon absence de réaction quand tu m'insultes ou me complimentes alors que je ne t'ai rien demandé. Pour que toi aussi, tu finisses par être lassé, par être blasé, par t'habituer et par finalement l'oublier cette jupe. Que tu me vois comme n'importe quelle autre personne. Ou peut-être pour que tu ne me vois plus du tout.

La semaine dernière, c'est mon visage blindé, mes yeux visé droit devant qui ont déplu.
Il y a quelques mois, je rougissais encore, tête baissée. Il m'arrivait même de sourire, pas parce que j'étais flattée (ça n'a rien de flatteur et ça n'aura jamais rien de flatteur de recevoir un jugement de parfaits inconnus) mais parce que j'étais gênée, mal à l'aise, nerveuse, parce que j'avais peur, des fois. Mais là rien, pas un clignement de paupières, pas un tressaillement de la lèvre, rien. Alors il m'a suivi, sur plusieurs dizaines de mètres, pendant plusieurs minutes, il m'a raconté sa théorie selon laquelle je faisais ma sainte-nitouche, que j'allumais tout le quartier et, qu'une fois que j'avais bien mouillée, je rentrais chez moi pour me branler en pensant à tous les mecs qui bandaient pour moi.
Bon, en vrai, j'allais juste à Monoprix acheter du shampoing mais bon, j'ai pas jugé utile de lui préciser ce détail. Lui, il ressemblait à n'importe quel mec croisé dans la rue, jean baskets, l'air normal, et il avait les yeux mi-clos de plaisir en me parlant. Moi, j'avais envie de chialer et aussi envie de balancer mes poings dans un truc très dur, je me suis contentée de mordre l'intérieur de mes joues en continuant d'avancer.

Moi et ma jupe, on l'a recroisé le jour d'après, il m'a interpellé "hé salope". Puis le jour suivant. Puis encore,et pour cause, il traine entre mon appart et mon lieu de travail. Mais je n'ai pas l'intention de changer de chemin. Je n'ai pas l'intention d'abandonner ma jupe. Ce n'est pas elle, le problème; une fille, une femme n'a pas besoin de ça pour se faire emmerder.

Pourtant on continue de penser qu'il y a une "raison", une explication. Une provocation,, peut-être? On le pense quand on dit "non mais t'as vu comment elle était habillée? Et après elle s'étonne?", même mon fiancée le pense quand il me lance "tu vas pas sortir comme ça?" ("euh...est-ce que je te dis comment tu dois t'habiller, moi?"). Il se justifie: "moi, ça me dérange, c'est les autres hommes qui me dérangent, les hommes sont des chiens, c'est pour toi que je dis ça."

Je n'ai pas envie de penser que tous les hommes sont des connards, qu'ils sont "tous des chiens" qui ne pensent qu'à "ça". Mon père est un homme. Mes frères sont des hommes. Certains de mes amis sont des hommes. Je suis  amoureuse d'un homme.

J'ai juste envie que ces connards qui sifflent une femme pensent à leur mère qui est une femme. Peut-être même qu'ils ont une soeur qui est une femme. Soyons fou, une amie qui est une femme. Une petite amie qui est une femme. Une fille qui est une femme. Et que les femmes qui marchent dans la rue ne sont pas une espèce à part, là uniquement pour se pavaner et ouvertes à toutes propositions, tout commentaires, attendant une approbation. Les femmes qui marchent dans la rue sont la moitié de la population.

Alors oui, une jupe c'est pas grand chose, c'est vraiment rien quand on y pense, mais je me dis que le jour où on n'y fera plus attention à cette jupe, on ne fera plus attention à la fille qui la porte, et ce jour là on sera tous gagnant. En attendant, je continuerais de la porter.

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