L'imposture
14:17Je pose ma main sur la jambe de l'homme que j'aime, à l'abri des regards, sous la table du restaurant. Je caresse nerveusement ...
05/11/2013 - 14:17
Je pose ma main sur la jambe de l'homme que j'aime, à l'abri des regards, sous la table du restaurant. Je caresse nerveusement le tissu de son jean. La paume de ma main est moite. Je ne sais pas si j'ai encore le droit d'être là.
Je m'attendrais presque à ce qu'il proteste, mais il ne le fait pas.
Je m'attendrais presque à ce qu'il proteste, mais il ne le fait pas.
C'est rare que l'on soit assis côte à côte, au restaurant, mais aujourd'hui nous ne sommes pas seuls, il y a un ami de l'autre côté de la table. Repas à trois. Léger. Rien de romantique.
Je glisse ma main dans son dos. Je ne peux pas m'en empêcher, j'ai toujours besoin de le toucher. Surtout quand les mots n'arrivent pas à franchir mes lèvres quand je veux lui dire que je l'aime. Que je suis désolée. Ou que j'ai peur qu'il me quitte.
On ouvre une bouteille de rouge. La choucroute suit les carottes râpées. Discussions sur le travail. Rien de romantique.
"Bon, j'ai compris, moi j'ai pas de copine, mais moi aussi je veux toucher la main de quelqu'un. Moi aussi, je veux être heureux!" L'ami nous taquine. Il plaisante. Il croit ce qu'il voit. Et il nous voit heureux. Il nous envie peut-être même. Un peu.
Mais il ne sait pas. Il ne sait pas que rien n'est parfait. Pire, que l'on est au bord de l'implosion. Que je m'accroche les yeux fermés. Sans savoir combien de temps ça va durer.
J'ai l'impression que nous sommes un ersatz de couple. Un pastiche. Une imposture. Que l'on ne sourit que pour les flashs, pour la jolie photo publicitaire. "Vous aussi devenez le couple parfait". "Vous aussi soyez heureux". Puis quand on se retrouve derrière la porte de notre appartement, chacun à un bout du canapé, j'ai du mal à tendre le bras vers sa main, à frôler sa jambe du bout du pied, à poser ma tête contre sa poitrine. J'ai peur qu'il en ai assez, qu'il hausse les épaules et se lève brusquement. Et ces gestes simples qui étaient presque devenus des réflexes, des caresses instinctives, irréfléchies deviennent bien lourdes de sens alors que j'ai l'impression de ne plus pouvoir les faire librement.
Pourtant on fait encore illusion.
On a l'air heureux. Il ne doit pas grimacer tant que ça.
Mais je retire ma main de sous son tee-shirt, elle m'a rien à faire contre sa peau. Je finis cul sec mon verre de vin et y reste cramponnée.
On a l'air amoureux. Encore. Comme au début. Comme il y a quelques mois, avant qu'une tension continue s'immisce dans chaque discussion. Avant que mes blagues ne soient plus drôles qu'en public, que mes tics de langage ne l'exaspèrent et que mes reprochent cisaillent l'air comme des lames tranchantes.
Je serre les dents. Je ne fais pas semblant, je ne joue pas. Je me fous de l'image que l'on peut renvoyer, heureuse ou pas, je veux juste pouvoir continuer à caresser la peau de l'homme que j'aime. Je veux arrêter d'analyser chaque geste, de les classer dans la colonne pour. Ou contre. Graphique. Présentation PowerPoint. Rester ensemble ou partir.
Je ne veux plus être nostalgique et coupable quand on nous dit "vous avait l'air tellement bien ensemble" comme si c'était déjà un vieux souvenir. Et que je ne le méritais pas.
Je me sers un autre verre de rouge, un sourire forcé sur le visage. J'écrase les miettes de pain du bout de l'index. J'ai du mal à respirer.
Et d'un coup, c'est sa main à lui qui s'attarde sur moi, son bras qui m'entoure les épaules. Et je comprends que ce n'est pas tout a fait fini. Pas encore.